26 juin 2011. Première messe à 11h30 de Guillaume Lepesqueux

Entretien avec Guillaume Lepesqueux, missionnaire en Thaïlande.

Guillaume LEPESQUEUX, nouveau prêtre envoyé en Thaïlande pour le peuple Lao

Guillaume, bonjour. Tu es actuellement en cinquième année de séminaire au titre des Missions Etrangères de Paris. Peux-tu nous expliquer un peu ce qui t’a conduit jusque là ?

Le hasard ou la providence, c’est comme on veut ! Plus sérieusement, je crois que toute vocation exprime une fidélité, qu’elle en est le revers. En ce qui me concerne, c’est en rentrant du Cambodge où je venais de passer une année comme volontaire que la question de la vocation s’est soudainement révélée plus prégnante : comment rester fidèle à tout ce que j’avais vécu là-bas, comment ne pas trahir cette formidable expérience et par là tous ceux qui m’avaient fait confiance ? D’une certaine manière, si aucune réponse ne s’imposait d’elle-même, il me fallait transformer l’essai en évitant de poser le point final qui aurait certainement tout bloqué.
Question plus prégnante : elle ne venait pas de nulle part et ne m’était pas tombée dessus, à l’improviste. De fait, l’idée de devenir prêtre m’avait déjà travaillé dès l’enfance, sans que j’y attache pour autant trop d’importance. Elle m’a rattrapé pendant mes études, et plus particulièrement à mon retour de coopération. J’avais encore en tête le témoignage de prêtres qui m’avaient dit par leur vie toute la beauté de leur ministère : je souhaitais vivre comme eux. Cette réaction pourrait paraître bien enfantine, mais elle rappelle entre autres que l’annonce de l’Evangile ne peut se passer de médiations, et donc de médiateurs, de passeurs, porteurs d’une Parole qui les dépasse, Parole suffisamment puissante pour s’exprimer même – et peut-être surtout – dans la faiblesse. En y repensant, je me dis que cette expérience de volontariat m’a véritablement fait grandir en liberté. Elle m’a permis, à rebours, de poser des choix engageants, non pas seulement sur une courte durée, mais sur l’horizon de toute la vie. C’est là, à mon sens, que l’Esprit est à l’œuvre : dans les choix – et donc aussi dans les renoncements – que nous faisons. Cette liberté, j’en découvre encore maintenant de nouvelles facettes à travers la formation que je reçois au séminaire. Cela me rend heureux.
Justement, la formation au séminaire est longue, et cette longueur peut parfois réfréner les ardeurs. En quoi consiste-t-elle précisément ?

Six ans en ce qui me concerne. Sept ans pour ceux qui sont entrés au séminaire ces deux dernières années, du fait de la réforme des cursus universitaires. Ce n’est donc pas rien… mais pas trop non plus ! Le discernement prend du temps, il n’est pas la question d’un instant et pour cela, il doit passer par l’épreuve du temps qui, malgré tout, peut parfois paraître bien long. A vrai dire, je ne savais pas tellement à quoi m’attendre en entrant au séminaire puisque je n’y avais jamais mis les pieds auparavant. C’est donc sans a priori que j’ai commencé la formation, et je ne le regrette pas. Je mesure seulement maintenant tout le chemin parcouru, tous les déplacements humains, spirituels ou encore intellectuels – mais finalement, cela n’est-il pas tout un ? – auxquels j’ai consenti, avec plus ou moins de résistance. Mais le plus important, c’est que ce chemin, le mien, aussi tortueux soit-il, ne s’arrête pas à ce que je suis en train de vivre : il appelle une suite. Le séminaire, si on y entre, c’est pour en sortir. Entrer, sortir, bref passer. Mais passer avec tout soi-même, en se laissant transformer, travailler de l’intérieur, petit à petit, et toujours. C’est peut-être cela qui est exaltant dans la vie chrétienne : on n’a jamais fini de recommencer !
Tu te prépares à être prêtre missionnaire pour l’Asie et ce, alors que le clergé français voit ses effectifs diminuer d’année en année. N’y a-t-il pas là quelque chose de contradictoire, en tout cas d’inconfortable ?

Je suis actuellement le seul séminariste de mon diocèse. Cette question aurait donc de quoi m’interroger. Cela dit, je suis très reconnaissant envers mon évêque qui n’a pas cherché à me récupérer par une forme ou une autre de chantage mais qui a au contraire véritablement respecté la vocation que je lui ai présentée. De toute manière, ce n’est pas perdu, c’est pour l’Eglise, m’a-t-il bien fait comprendre. Et c’est en donnant que l’on reçoit, a-t-il ajouté.
C’est vrai toutefois que le nombre de prêtres baisse de manière assez impressionnante en certains endroits, mais cela ne doit pas masquer la réalité autrement plus réjouissante de ce que vivent de nombreuses communautés chrétiennes. Des initiatives fleurissent ici et là, permettant à chacun de trouver sa place dans l’Eglise. C’est aussi, pour les prêtres, l’occasion de penser à nouveaux frais leur manière d’exercer le ministère, non pas dans l’optique d’une gestion de la pénurie, mais avec le désir de rendre le Christ – et donc son corps, l’Eglise – présent à tous. Je trouve que cette forme de pauvreté, par laquelle l’Eglise de France donne ce qui commence à lui manquer sérieusement, dit quelque chose de l’Evangile. Une Eglise qui ne donnerait plus de prêtres à la mission ad extra est une Eglise morte. Le nez sur le guidon, elle ne voit le monde qu’à travers ce qu’elle vit. C’est un peu difficile à accepter certes, c’est audacieux, mais c’est le pari de l’Evangile !
Du coup, comment envisages-tu la mission aujourd’hui ?

Sans conquistadores… Je me dis souvent que l’Evangile vient toujours d’ailleurs. Non pas que les missionnaires en soient les dépositaires exclusifs, mais ils sont d’une certaine manière le signe visible de cette extériorité, de cette insatisfaction essentielle de l’Eglise qui ne peut jamais se suffire à elle-même, quel que soit le moment de son histoire. L’Eglise est par nature ouverte, elle est poreuse : ça circule ! L’enjeu est de taille, notamment dans un monde où s’élèvent sans cesse de nouvelles frontières, puisqu’il concerne nos dispositions à nous faire évangéliser par d’autres, qu’importent leur origine ou même leur religion. Et là, il ne faut pas avoir peur. Le grand Matteo Ricci exprime admirablement ce trait dans un de ses aphorismes sur l’amitié : « Si mon amitié ne vous sert de rien, c’est que nous sommes, vous et moi, que deux flatteurs ». Aux antipodes d’une amitié sans concurrence ni faux-semblants, d’une amitié qui porte du fruit en Jésus-Christ. Encore une petite phrase – celle-là parce que je l’aime beaucoup – de Mgr Pallu, un des fondateurs des Missions Etrangères : « Voilà le pont commencé… » Ce à quoi les missionnaires de toutes les époques sont appelés.
Peux-tu me citer une phrase des évangiles qui te parle particulièrement ?

Une seule ? Je préférerais deux, dont une ne vient pas directement des évangiles, même si elle en constitue le fond. D’abord, cette question que Jésus pose à ses disciples : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » (Mc 8,29), et ensuite celle-ci, que Dieu adresse à Caïn qui vient de trucider son frère Abel : « Où est ton frère ? » (Gn 4,9). Ce sont à mon sens les deux grandes interrogations qui motivent la grande saga biblique, qui nous fait admirer l’action de Dieu qui transforme l’homme, un homme en rien diminué ou dissimulé. Histoire d’un progrès qui nous éclaire sur nous-mêmes et sur nos ambiguïtés, qui nous éclaire également sur Dieu, ce Dieu si inattendu et si déconcertant.
Quel conseil donnerais-tu à un jeune qui se pose la question de la vocation missionnaire ?

De ne pas trop se poser de questions et d’y aller… Un philosophe allemand du début du XXe siècle, Franz Rosenszweig, écrivait : « Il y a un aujourd’hui qui n’est qu’un pont vers demain, et il y a un autre aujourd’hui qui est un tremplin vers l’éternité. » Il y a des temps opportuns pour se décider, et il ne faut pas les laisser passer trop vite, au risque de le regretter. A bon entendeur…