Editorial du dimanche 14 février 2010

« CELUI QUI VEUT SE CONDUIRE PAR LUI-MÊME
SE FAIT GUIDER PAR UN FOU »

Cet aphorisme de saint Bernard peut s’entendre comme un commentaire de l’évangile d’aujourd’hui. Quand la néces-sité s’abat sur nous, la détresse nous fait gémir et crier vers le ciel pour être délivré du malheur. Mais du même coup se dissipe l’illusion de toute puissance qui guette l’homme pour qui tout va bien, comme s’il était maître de son destin. La juste humilité de notre condition mortelle ne doit jamais nous laisser oublier notre dépendance radicale de celui à qui seul appartiennent le règne, la puissance et la gloire. Parce que nous croyons en sa bonté et en son amour pour nous, nous l’appelons Providence. Et parce que notre espérance est sûre, nous savons que la sagesse consiste en la fermeté dans les épreuves, tandis que l’ivresse de celui qui met sa confiance en lui-même est folie mortelle.
De même, paraphrasant la règle de leur ordre qui cite le livre des Proverbes : « L’abondance des paroles ne va pas sans péché », les Carmes saluent parfois les repas plus copieux des jours de fête d’un facétieux « Abondance de biens ne va pas sans péché ». Pas plus que l’aphorisme précédent ne nous dissuadait de prendre toutes nos respon-sabilités dans la conduite de notre vie, celui-ci ne méconnaît la générosité divine qui veut nous combler de toutes les manières. Mais il évoque le risque d’ébriété spirituelle que fait courir la prospérité à celui qui s’imagine pouvoir dès lors échapper tout à fait à la précarité. La vie religieuse est heureuse, du moins pour ceux qui embrassent avec foi les conseils évangéliques de pauvreté et d’obéissance, avec celui de la chasteté. Or, ces conseils sont pour tous les chrétiens, ainsi que la promesse de bonheur.
Pour les malades, l’expérience de la pauvreté se situe parfois dans l’ordre économique, mais toujours dans la dé-couverte de la faiblesse et de la vulnérabilité de leur corps. Les altérations et les souffrances physiques sont subies comme des manques de santé et de confort, et la grande douleur est grande misère. Quant à la nécessité ordinaire de se soumettre aux décisions, aux opérations, aux manipu-lations des médecins et des soignants, elle constitue souvent une terrible épreuve d’obéissance imposée. Puisse le Seigneur soulager nos frères malades, les guérir s’il le veut, et leur procurer en tout cas le réconfort de la charité ardente de toute notre communauté. Puissions-nous recueillir auprès d’eux le témoignage et les grâces de la patience, et de la remise de soi en toute confiance à la bienheureuse Providence de Dieu.
Marc Lambret, curé